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DISTRIBUTION SPATIALE DES EMPLOIS À MONTRÉAL

DYNAMIQUES DE VOISINAGE

La carte Groupes professionnelsi met en relation le quartier de résidence et le métier. Comme la plupart des gens tâchaient de réduire au minimum la distance à parcourir pour se rendre au travail, ils avaient tendance à vivre tout près de leur lieu de travail. Selon la même logique, de nombreux commerces et usines se trouvaient à proximité de leurs fournisseurs et clients.

Au milieu du XIXe siècle, Montréal est une ville axée sur le commerce dont les quartiers sont définis par une seule variable : le statut professionnel. Alors que certains groupes de rues abritent essentiellement de riches et prestigieux marchands et avocats (points rouges et orange), d’autres sont peuplés majoritairement de journaliers et de manœuvres durement malmenés (points bleus). Pourquoi les pauvres vivaient-ils en périphérie? Qui pouvait se permettre de vivre au centre-ville?

En 1861, certains métiers se sont déplacés dans les hauteurs de la ville, dans de nouveaux quartiers. À cette époque, l’industrialisation commence à définir les quartiers selon le travail effectué par leurs résidents. Les usines de clous et de locomotives recherchent un ensemble de compétences précises, les usines de chaussures en recherchent d’autres. Les marchands de tabac, les hôteliers, les imprimeurs et les gardiens de nuit demeurent regroupés dans le centre.

En 1881, les quartiers de Montréal se sont différenciés encore plus. Les rues de même couleur affichent un profil de métiers particulier. Les points verts et bleus dans le sud de la ville correspondent à des concentrations de travailleurs du fer. Ce sont des rues de logements à loyer modique, les unes près du centre, le long d’artères à grande circulation, d’autres plus éloignées. Les groupes de rues définis strictement sur le plan des métiers reflètent cependant des caractéristiques sociales telles que la langue et l’origine ethnique.

En 1901, Montréal est dix fois plus populeuse qu’en 1848. Nous avons décelé vingt profils de métiers différents. Le regroupement des rues découle, une fois de plus, uniquement de la similitude des métiers présents, mais a permis de mettre au jour d’autres différences sociales. Un des trois groupes de rues les plus riches (points rouges) compte une génération âgée qui vit dans d’anciens édifices, un autre est dominé par de jeunes directeurs et comptables qui vivent dans une nouvelle banlieue, et un troisième est un quartier universitaire de professionnels francophones.

Caractéristiques de la distribution spatiale des emplois en 1848

Caractéristiques de la distribution spatiale des emplois en 1861

Caractéristiques de la distribution spatiale des emplois en 1881

Caractéristiques de la distribution spatiale des emplois en 1901


DYNAMIQUES DE VOISINAGE : GROUPES PROFESSIONNELS

Nous avons délimité des groupes de rues en examinant les métiers déclarés par leurs occupants et nous avons dégagé le profil particulier. Ensuite, nous avons cartographié les rues (en leur point milieu) et les avons colorées selon leur profil de métiers.

À l’intérieur d’un groupe, les profils des rues ne sont pas identiques, mais ils se ressemblent. Les cartes indiquent où vivaient (ou ne vivaient pas) certains types de travailleurs et quels métiers se côtoyaient. Cette information nous éclaire sur la manière dont la ville s’est transformée au fil de la création de nouveaux emplois. Nous pouvons suivre l’évolution d’un quartier, ou deviner les mouvements d’attirance et de répulsion qui amenaient les résidents dans certains secteurs au détriment d’autres.

Le nombre de groupes de rues est arbitraire, et les regroupements sont propres à chacune des années. Les mêmes métiers ne se retrouvaient pas nécessairement sur les mêmes rues 20 ou 40 ans plus tard. Toutefois, certains types de métiers, par exemple aubergiste et colporteur, se côtoyaient de manière constante. Pouvez-vous trouver d’autres exemples semblables?

Pour éviter de tirer des conclusions hâtives de notre analyse, nous avons utilisé une stratégie dite d’«agrégation progressive». En partant des plus petites unités sociales possibles − ménages et appellations d’emploi − nous avons regroupé les ménages en tronçons de rue, puis nous avons regroupé les populations des tronçons de rue en groupes de rues qui partageaient le même profil de métiers. Parallèlement à cette opération, nous avons déterminé des groupes professionnels établis sur les mêmes rues

Les points sur les cartes correspondent à des tronçons de rue, l’unité la plus significative que nous ayons trouvée pour analyser le tissu urbain. Dans les villes du XIXe siècle, on trouve une broderie fine et nuancée. Des deux côtés d’une même rue, on trouvait normalement des édifices similaires, des activités similaires et des résidents exerçant des métiers similaires. Chaque tronçon de rue comprenait au moins 30 ménages (le nombre moyen de ménages par tronçon de rue était de 60 en 1861 et de 100 en 1900).

En 1889, lorsque Charles Booth Booth a réalisé sa carte détaillée de Londres, il a utilisé des tronçons de rue pour déterminer le statut social des résidents de la ville. Comme nous l’avons constaté en travaillant sur Baltimore et Montréal, Booth a découvert que les «côtés d’îlots jumeaux» produisaient des unités plus homogènes que les côtés «faisant le tour de l’îlot». (Ce phénomène est souvent évident lorsqu’on observe les tracés du bâtiment le long de la rue et de ses rues transversales.)

En des termes plus techniques, nous avons regroupé des tronçons de rue en fonction de la présence ou de l’absence de métiers suivant la méthode de Ward, qui consiste à attribuer la même signification à la présence ou à l’absence de toutes les appellations d’emploi. (Pour 1861, nous avons travaillé avec 197 tronçons de rue et 91 appellations d’emploi). Le processus a été hiérarchique et agglomératif. Nous avons créé nos groupes de rues étape par étape en appariant des rues qui présentaient les profils de métiers les plus apparentés. Nous avons utilisé une méthode itérative pour revérifier chaque tronçon en regard de son groupe de rues, en continuant de faire les ajustements nécessaires jusqu’à ce que nous obtenions des regroupements stables.

Par exemple, plusieurs tronçons de rue se trouvant à proximité d’une usine de clous dans le sud-ouest de Montréal comptaient systématiquement au moins un cloutier, un fondeur et un mouleur. Le modèle n’était pas évident en 1848, mais cet ensemble se retrouve presque à l’identique en 1861, en 1881 et en 1901.

Bien que nous n’ayons pas déterminé nos groupes de rues en utilisant quelque limite de quartier que ce soit, tous ces ensembles semblent avoir une signification géographique. En effet, nous avons choisi les rues en nous basant strictement sur leurs profils de métiers − la proximité n’était pas un critère. Malgré tout, chaque groupe de rues se présente comme un nuage de points sur la carte, révélateur du caractère du quartier.

Nous avons constaté que les rues d’un groupe constitué sur la base d’un profil de métiers partageaient souvent d’autres caractéristiques, telles que la distance du centre-ville, le niveau de loyer et les antécédents culturels des résidents. En particulier, les tronçons du groupe de rues du plus haut niveau de loyer (loyer annuel médian de 150$) présentaient un profil commun de métiers et aussi une population majoritairement anglophone et un petit noyau de professionnels canadiens-français dans l’est. Un autre groupe, composé des rues entourant ce noyau, où le loyer annuel médian était d’environ 100 $. Ces deux groupes de rues à loyers élevés constituaient deux quartiers classiques qui se sont formés à l’extérieur de l’ancien port fluvial.

Les regroupements se sont modifiés un peu plus récemment, mais nous avons toujours un groupe de rues aux loyers élevés présentant des caractéristiques semblables. Les codes de couleurs permettent d’observer des continuités d’une décennie à l’autre.

Peu importe la date, lorsqu’on observe le St. Ann’s Ward, on constate la présence d’une zone nouvelle qui se distingue de la zone plus ancienne et se définit par des métiers exercés avantageusement au centre-ville. En 1861, un groupe de rues se distinguait près de la gare ferroviaire. Ces rues allaient vite être détruites pour permettre l’expansion des installations ferroviaires.

Vous pouvez observer l’existence de groupes caractérisés par un ou deux métiers «de diagnostic». En 1861, par exemple, environ le tiers des résidents du groupe réunissant des plombiers avaient un lieu de travail ou une entreprise sur place. Le vaste éventail des loyers et le fait que le loyer médian soit légèrement plus élevé dans ce groupe impliquent que ces ménages avaient un peu plus d’espace. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que tout le monde payait des loyers élevés. Les mêmes rues logeaient des médecins très instruits, des horlogers et des bijoutiers-joailliers fortunés, de pauvres barbiers et relieurs, de même que de petits entrepreneurs tels que des confiseurs, des marchands de tabac, des gardiens de pension et des modistes. Nombre de résidents combinaient une habileté ou un service avec un magasin de détail. Parmi les autres exemples de 1861, mentionnons un groupe de rues d’ingénieurs et un autre de tailleurs de pierres en bordure de la ville.

Chaque période comptait aussi un secteur en construction distinct, situé en bordure de la ville. Certains résidents prenaient part aux travaux de construction: des couvreurs, des plâtriers, des maçons, des charpentiers et des peintres. Certains autres faisaient partie du «halo de pauvreté» de la ville et vivaient sous la crainte permanente d’une destruction ou d’une expulsion de leur logement. Les travailleurs de la construction pouvaient en grande majorité accéder à la propriété, et un grand nombre de Canadiens français y trouvaient un bon moyen d’ascension sociale, malgré le risque d’un échec financier en cours de route. Ainsi, de nombreux résidents sont passés d’un statut d’artisan à celui de propriétaire, de capitaliste ou de résident propriétaire d’un duplex.

Aux premiers stades de l’industrialisation de Montréal (1848-1861), chaque groupe de métiers a aidé à façonner la structure dynamique de la ville: les marchands se sont isolés en banlieue, la petite bourgeoisie s’entourait d’institutions, les courtiers exerçaient dans le quartier des affaires au centre-ville, les métiers du génie et de la mécanique se retrouvaient à la frontière industrielle, les constructeurs et les artisans occupaient le périmètre. Les charretiers irlandais s’entassaient dans les rues entre l’église St. Patrick’s et la gare ferroviaire, et les travailleurs canadiens-français de la chaussure, concentrés dans des conditions de surpeuplement, produisaient des volumes importants de marchandises qui généraient de gros profits. Assiste-t-on à des processus similaires en 1881 et en 1901? Retrouve-t-on les mêmes combinaisons de métiers dans des lieux de résidence et des lieux de travail voisins? Comment la ville s’est-elle transformée avec l’arrivée de nouveaux groupes d’immigrants, la construction de nouveaux quartiers et l’émergence de nouveaux métiers?

Dans la nature, la distribution des espèces suit divers gradients environnementaux, selon leur tolérance à l’humidité ou au gel. Les Montréalais ont planté des vergers de pommiers et des jardins maraîchers sur les flancs ensoleillés de la face sud du Mont-Royal. Quels gradients ont donc influé sur la distribution des travailleurs montréalais? L’évaluation foncière démontre que la proximité du centre-ville établit le gradient déterminant. L’altitude du terrain était aussi importante. Le statut, l’entrepreneuriat et un rapport avec l’industrie ont tous joué un rôle en déterminant des choix sociaux et des pratiques de corésidence.

En 1848, le statut était la dimension la plus forte. Les riches vivaient au centre-ville et les pauvres en périphérie, même si personne ne se trouvait très loin de tous les autres. Les changements survenus au cours des décennies suivantes laissent entrevoir des caractéristiques de «mobilité sociale». Les distinctions fondées sur le statut social demeurent très courantes aujourd’hui, et elles ont été systématiquement reconnues dans les géographies historiques d’autres villes. À Montréal, quelques résidents ont atteint un statut plus élevé durant leur vie. Cette ascension sociale était surtout courante chez les commerçants. En moyenne, les familles tendaient à améliorer leur statut d’une génération à la suivante, comme permet de le constater leur déménagement d’un quartier à l’autre.

La ville était multimensionnelle, et avec le temps, d’autres dimensions se sont révélées importantes, dont la langue, la religion et le lieu d’origine.

Lorsque nous avons analysé les données, nous avons été étonnés par la différenciation progressive au cours du demi-siècle. Tel qu’il est reflété dans la langue utilisée par les travailleurs pour décrire leur métier, cette différenciation semble avoir pris naissance à l’endroit où se déroulaient diverses activités industrielles: au bord du fleuve, le long du canal ou de la voie ferrée; près de certaines autres industries; ou près du centre-ville, où se trouvaient les banques et les sièges sociaux.

Dans les années 1840, les pauvres étaient répandus à la périphérie, jusqu’à deux kilomètres du centre, et les limites est et ouest de la ville présentaient un même profil de métiers. En 1861, cependant, l’est et l’ouest se distinguent, et à la fin du siècle, la limite nord aura aussi son profil distinctif. Dans les années 1850, le travail du fer a créé des concentrations d’employés, dont le nombre s’est fortement accru en comparaison du nombre de travailleurs du bois et des travailleurs du cuir. Le travail du fer s’associait aux chantiers navals et aux ateliers ferroviaires. Comme les voies ferrées encerclaient la ville, le personnel suivait – cheminots, aiguilleurs, conducteurs de train, serre-freins.

La croissance spectaculaire − de pair avec la mobilité de certains éléments de la classe ouvrière, l’augmentation du trafic, du bruit et des fumées − ont contribué à rendre les vieux quartiers mûrs pour recevoir des immigrants de l’étranger et des nouveaux-venus des villages alentour.

des fabricants de chaussures. En 1881, les tailleurs et couturiers vivaient près du centre ou le long de rues commerciales. Toutefois en 1901, la ville avait un vigoureux quartier du vêtement reconnu et un quartier de la fourrure adjacent. Ces deux regroupements correspondaient étroitement à des concentrations d’immigrants juifs des années 1890 et à leur profil de métiers: colporteur, bijoutier-joaillier et commerçant. On a observé le même phénomène à New York, Philadelphie, Baltimore et Toronto, où les fabricants de cols de chemise et de boutonnières trouvaient avantageux de vivre près des fabricants de prêt-à-porter. Tout comme les métiers associés au centre-ville, ils étaient caractérisés par un contrôle étroit et de longues heures de travail. Autour de 1903, cette implosion s’est reflétée dans une reconstruction rapide des immeubles.

On a vu une implosion semblable dans les usines de chaussures, qui faisaient l’objet d’une intense mécanisation depuis les années 1860. De grandes usines employaient des migrants canadiens-français des régions rurales environnantes. Ils se mariaient jeunes et, comme la plupart des tailleurs-couturiers, ils vivaient avec un budget dérisoire durant les dépressions de 1870 et de 1890. Des édifices de deux étages comptant deux appartements chacun ont été remplacés par des triplex de trois étages. En termes de nombre de personnes par hectare de terrain, la densité des logements populaires a triplé entre 1861 et 1901, mais dans ces triplex récemment construits, l’appartement offrait en moyenne 50 % plus d’espace habitable.



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